13 au 16 février 2020 – Conditions extrêmes
Afin de nous préparer à gérer le stress, à vivre et communiquer au sein d’un groupe, nous nous retrouvons pour notre premier entrainement à Crans-Montana. Nous, c’est-à-dire les 6 astronautes analogues, les 2 back-ups, ainsi qu’une partie des organisateurs. Encadrés par Alban et Pedro.
C’est sous la neige que nous arrivons sur place. Aussitôt, Alban et Pedro nous accueillent. Un petit tour du lac, qui n’a pas l’air si gelé, et nous montons le camp. Deux grandes tentes, ainsi qu’autant de deux places que nécessaires. Orange sur fond blanc. Autour de « Monique », la bouilloire qui n’aura plus de répit jusqu’à dimanche, nous prenons notre premier repas lyophylisé. Il neige depuis que nous sommes arrivés et cela continue toute la nuit. J’adore m’endormir sous la tente avec le vent et la neige qui transforment la toile en caisse de résonance, instrument de musique qui me berce. Je me glisse dans mon « sac à viande » en polaire avec capuche, lui-même dans un sac de couchage pour le Groënland, ceci placé sur un matelas type thermarest, puis un matelas carrémat, enfin le tout dans un Bivybag. Forte de mon expérience de bivouac, je n’ai absolument aucun doute sur le fait que je n’aurais pas froid. Les autres sont plus dubitatifs.
Le lendemain matin, tout est blanc, recouvert de 20 cm de poudreuse. Nous nous répartissons les tâches, certains à faire de l’eau, d’autres aux tests physiologiques sur ordinateur, enfin un groupe allant étudier de plus près l’état de la glace. Excellente surprise, 40 cm couvrent la surface du lac de la Moubra. Nous allons pouvoir plonger sous glace !
C’est l’effervescence. À l’aide d’une tarière et d’une scie à glace, nous creusons deux trous. Une corde est passée de l’un à l’autre, en guise de fil d’Ariane. Il faut placer quelques broches, rien à voir avec la glace vive des cascades, cette glace-ci accroche, le pas de vis ne prend pas. Je me déplace un peu, et c’est un peu mieux, mais très différent de ce que je connais. Je plonge l’après-midi même. Revêtir la combinaison sèche est une épreuve en soi, surtout sans talc au niveau de la collerette… On reste habillés en dessous. Combi intégrale, chaussons, sous-gants puis gants étanches qui viennent se visser sur la combi. Cagoule, masque, palmes. Ceinture de leste. Bouteilles, au nombre de deux. Je m’exerce à respirer via le détendeur. C’est difficile, comme aspirer dans une bouteille fermée. On m’explique que c’est normal, sous l’eau, la pression aide. Ouf ! Effectivement, une fois dans l’eau, ça va beaucoup mieux. Le froid saisi la seule partie à nu : les lèvres. Mais je m’enfonce déjà sous la surface, guidée par Alban. Je sens que de l’eau entre dans mon gant droit, mais qu’importe, je ne veux pas prendre le risque d’écourter la plongée. Il me faut une minute pour caler ma respiration sur un rythme régulier, le temps de m’habituer à respirer via le détendeur. C’est facile en soi, mais je sens aussi qu’il serait difficile de respirer très vite et fort, comme c’est possible à l’air libre après un sprint. Cela signifie qu’il ne faut en aucun cas se mettre dans une situation de stress ou de panique, qui augmente le débit respiratoire. Nous arrivons au deuxième trou et faisons surface. J’en profite pour vider un peu d’eau de mon masque, et Pedro m’explique comment le vider sous l’eau, je savais déjà comment faire, mais j’appréhende un peu car je me demande si l’eau ne va pas s’engouffrer. Un peu d’eau a réussi à s’infiltrer au niveau du nez, et en respirant par la bouche, le nez aspire également un peu d’eau, c’est très désagréable. J’essaie donc le vidage de masque : c’est parfait, efficace, facile ! J’observe les bulles qui viennent se plaquer sous la surface glacée. C’est joli. On peut faire des petits vortex avec la main, c’est rigolo. Le froid commence à me congeler la main, mais c’est encore supportable. Alban me demande, en signe bien sûr, si je souhaite qu’il me lâche. Jusqu’à présent, il me calait avec ses jambes, afin que je reste stable et verticale. Je dis oui, bien sûr je veux tester. En combi sèche, c’est difficile ! J’ai l’impression d’être un pantin, et à 1m de la sortie, j’aurais dû mal à la rejoindre. Les masses d’air à l’intérieur de la combi modifient la flottaison, de sorte qu’il devient très compliqué de se diriger, mais aussi de garder une position… Du moins pour une première plongée !
Nous refaisons finalement surface après une quinzaine de minutes sous l’eau. C’est génial ! J’ai découvert comment respirer avec les bouteilles et vider le masque, le ressenti lié au froid, la désorientation totale dans cette eau glacée avec peu de visibilité, la difficulté de se maintenir à une profondeur, puisqu’au rythme de la respiration, les poumons se gonflant puis se vidant, génèrent une flottaison variable. J’ai hâte de recommencer. Mais pour l’heure, place au suivant, déjà prêt sur le bord. Pedro me hisse hors de l’eau : avec les bouteilles sur le dos, impossible de sortir seule.
Après m’être déséquipée dans la tente matos, je vaque aux occupations du camp, transporter du matériel des tentes au lac ou inversement, faire de l’eau, répondre aux journalistes. Mais c’est déjà la fin d’après-midi, et comme annoncé ce matin, il y aura des plongées de nuit pour nous les astronautes !
Deux missions nous sont données en parallèle. La construction d’un abri, et l’obtention d’eau, sans Monique ni l’eau du lac. Notre équipe « Coco » opte pour un « igloo – yourte », avec une base neige, et un toit assez plat de neige et de branches. Plus grand que l’équipe « Chaleur », dont l’igloo est plus standard, mais plus petit. À la fin de la journée, notre igloo ne sera pas terminé, mais nous avons jusqu’à demain. Ces noms d’équipe, nous les devons à Will et Christian, qui la veille ont trouvé que leur sac de couchage était un « cocon chaleur ».
C’est mon tour ce soir. Le soleil ne chauffe plus, la brouillard s’étend sur une dizaine de mètres au-dessus du lac. Ambiance calfeutrée parfaite. Je ne parviens pas à me réchauffer les mains avant de plonger. Mais qu’importe. Cette fois, pas de fuite. Avec Pedro, nous évoluons avec la torche blanche, puis rouge, avant de tout éteindre. Cette fois, ma respiration s’est stabilisée beaucoup plus vite. Je n’ai pas si froid. Au moment d’éteindre la lumière, mon niveau de détente est similaire à celui avant de s’endormir. Je me dis d’ailleurs « vraiment plus de stress maintenant, je pourrais m’endormir ». Pas question pour autant de traîner, nous réallumons et continuons. Nous allons plus profond que sur la première plongée, et je dois rééquilibrer la pression au niveau des oreilles, en soufflant par le nez bouché : ça fonctionne bien. Les blocs dégagés pour creuser les trous sont bloqués sous la surface, offrant ça et là un petit relief. On s’amuse à essayer de les pousser. Magnifique plongée de nuit.
Une fois que les 4 sont passés, nous rangeons ce qui doit l’être et retournons au camp pour le repas, suivi d’un petit récit en images des expéditions d’Alban. Pedro reste très discret.
Je rejoins notre tente commune partagée avec Éléonore, pour une nuit bien méritée. Réveil à 7h , comme d’habitude. Aujourd’hui, pas de plongée pour moi, c’est au tour des autres ce matin et ce soir. Toujours beaucoup de journalistes. Cet après-midi, deux jeux d’équipe. Tout d’abord, encordés, les yeux bandés excepté le premier, nous devons nous déplacer dans la forêt en communiquant entre nous. Le deuxième jeu consiste à se déplacer le long de deux droites (matérialisées par des cordes) s’écartant de plus en plus. Deux personnes tiennent un gros bidon et doivent pousser l’un vers l’autre pour réussir à s’écarter autant que nécessaire.
Enfin, activité facultative : une petite immersion en maillot de bain ! Je ne pensais pas vraiment que cela soit possible, mais puisque si, je suis immédiatement partante. C’est l’occasion de sortir de ma zone de confort, mais aussi de ressentir ce qui se passe lors d’un incident, comme tomber dans l’eau involontairement.
Nous nous préparons donc, en maillot de bain, sur la bâche étendue sur la glace. Chacun notre tour, nous nous immergeons une trentaine de secondes. Retirer ses vêtements, marcher pieds nus sur la neige, s’asseoir l’eau jusqu’aux genoux, et sans trop attendre, se mettre à l’eau. Une petite brasse, l’impression de mille pics qui me transpercent de part en part. L’eau est à 4 °C. Ce sont tous les vaisseaux qui se rétractent. La respiration aussi est modifiée, plus profonde, plus rapide. Mais mon ressenti principal est surtout ces piqûres incessantes. Je m’immerge la tête, ce qui ne présente en fait aucune difficulté contrairement à ce que je m’imaginais, puis je sors. Dehors, il ne fait pas froid pendant les trente premières secondes. Je me frictionne et me rhabille. C’était super ! Je suis très contente d’avoir pu tester ceci. Cependant, il est très clair que tomber à l’eau de manière involontaire et sans possibilité d’en sortir rapidement n’est pas une situation d’avenir…
Pour cette dernière nuit, je dors dans notre igloo, avec Christian. Tous les autres préfèrent leur tente. Je sais bien qu’il ne fera pas froid. Nous nous plaçons de part et d’autres du pilier central. J’accroche ma frontale à une petite branche. Je place mon sac au niveau des pieds pour éviter de glisser vers le piège à froid. C’est parfait. Le plafond est joli, une lueur passe à travers les fissures entre les blocs de neige.
Le lendemain sonne hélas déjà la fin de cette petite aventure. Il semblerait, à en croire mes envies de plus en plus pressantes, que ces quelques jours ne soient que les prémisses d’un tout bien plus conséquent.
Les sélections sont calquées sur celles de l’ESA et s’étalent sur 4 étapes :
– lettre de motivation et CV ;
– vidéo de 3 minutes ;
– test technique (2h);
– entretien (Claude Nicollier) et tests psychologiques.
Au final, 6 astronautes sont recrutés, constituant l’équipage (Éléonore, Sebasthian, Willem, Julien, Sophie et moi-même), ainsi que 2 back-ups (Aubin et Christian).