1er août 2019

Départ pas trop tôt (8h) en direction de Saas Grund, pour une arrivée à 11h. En effet, ce premier jour est réservé à la marche d’approche, 1250 m de dénivelé, même avec les gros sacs, nous ne devrions pas mettre plus de 4h. Doucement mais sûrement, nous nous élevons dans ce joli paysage, et au final 3h seront suffisantes. Tenue estivale, excepté, bien sûr, les chaussures cramponnables… par ces 30 °C. Les champignons et fleurs envahissent le sol, notamment un tapis de joubarbes, qui le rend rose. Le petit hameau de Triftalp est adorable. Peu avant de rejoidnre le refuge, la Weissmies Hütte, nous entendons du cor des Alpes. Plus tard, le gardien nous en rejouera un peu, pas peu fier. Le refuge est magnifique, digne des autres Hütte déjà visitées. Même à 2726 m, il fait bon voir chaud. Le vent est assez fort, comme, semble-t-il, toujours ici, du fait des vallées encaissées en contre-bas. Le traditionnel Schörle en terrasse est plus que bienvenu. Nous restons indécis quant à l’itinéraire du lendemain, sachant qu’un orage est prévu de midi à 15h… Deux personnes redescendent de la via. Il y a une via ? Oui, sous le Jegihorn, et vu d’ici, c’est impressionnant : le pont suspendu qui relie les deux faces doit faire dans les 300 m. À chaque fois que quelqu’un l’emprunte, on voit une petite silhouette suspendue entre ces deux montagnes. Nous sommes en Suisse alémanique, l’occasion de pratiquer mon allemand, pas si rouillé que ça. Une petite sieste de 45 minutes vers 17h30. Après le repas servi à 18h30, nous convergons sur notre planning du lendemain. Nous abandonnons l’itinéraire en boucle initialement prévu : montée par l’arête S puis descente par la voie normale. À la place, nous ferons l’aller-retour par la voie normale. 1300 m de dénivelé, un passage sur glacier. Le topo donne 4h de montée et 3h de descente. Nous savons qu’il faut toujours prendre cette information avec des pincettes. Il est fréquent d’exploser les durées. Afin d’être de retour avant midi, nous décidons de partir à 3h30, donc petit-déj à 3h, donc réveil à 2h45. Je ne m’endors pas tout de suite, mais je suis bien sous la couette, ni trop chaud ni trop froid. Un peu plus tard un bruit étrange attire mon attention : des feux d’artifice, ah oui, c’est vrai, c’est le 1er août. Puis je m’endors, l’esprit malgré tout un peu préoccupé par cet orage, qui pourrait très bien avoir de l’avance…

 

2 août 2019

J’ai bien dormi, mais le réveil est un peu dur. Café, concentration. Habillage, pantalon Gore-Tex, T-shirt, veste, Gore-Tex qui sera sûrement vite retirée. Bonnet, gants pas trop gros. Casque, frontale. Crampons et corde dans le sac. Baudrier et quincaillerie sur moi. Tout ce dont nous n’avons pas besoin reste ici : coinceurs, parapente. Et c’est parti. Quelques cordées sont déjà devant, mais pas si loin. On distingue quelques rares étoiles, le ciel est nuageux, mais pas de vent. Par contre, il est régulièrement éclairé de flash, provenant d’un orage assez distant. Pas très rassurant, enfin, tant qu’on n’entend pas de grondement… L’itinéraire suit d’abord la crête de la moraine, avant d’obliquer vers la gauche et de prendre pied sur le glacier. Il faut monter, pas trop vite, pour tenir la distance, pour ne pas avoir trop chaud surtout, et trop transpirer. C’est peine perdue, de toute façon, l’effort est suffisamment soutenu pour donner chaud. Mais dès que l’on s’arrête, le froid reprend ses droits. Pas si vite, il ne faut pas se plaindre, l’absence de vent rend les conditions agréables. Les pauses de 5 minutes sont largement supportables. La première, au début du glacier. Pour s’encorder seulement. Il n’y a pas eu de regel, nous sommes à 3400 m. Les crampons restent dans le sac. Une pause au tout début de l’aube, à la sortie du glacier, avant l’arête rocheuse qui nous conduira au sommet. Nous avons dépassé une cordée. Nous en dépassons une deuxième, et la distançons, pourtant sans forcer. Nous sommes dans les temps, et la pluie qui s’était invitée sur le glacier s’est arrêtée. Il fait relativement beau et bon. L’ascension ne présente pas de difficultés. Le fil de l’arête est large, et ça passe à peu près partout, même quand on s’égare momentanément, ayant perdu de vue les cairns. J’avance en tête, ce qui signifie simplement, sur ce genre d’itinéraire, que je dois chercher le meilleur passage, le passage de moindre effort.
100 m sous le sommet, un peu de verglas apparaît. Les rochers deviennent glissants. Mais ça ne dure pas, c’est de nouveau sec au-dessus. Nous atteignons le sommet avant 8h, et l’éclaircie amorcée 10 minutes plus tôt est toujours présente, ce qui nous offre une vue magnifique sur le Weisshorn. De l’autre côté de la vallée, l’Allalinhorn lui, est pris sous des nuages pas très engageants. Nous ne traînons pas, il s’agit de redescendre. Quelques graines et nous attaquons la descente. Nous croisons de nombreuses autres cordées, jusqu’assez bas. Je n’aimerais pas être à leur place. Si nous mettons effectivement 3h à redescendre, nous serons à l’abri à 11h, avant l’orage, dont aucune trace n’est présente pour l’instant. Je ne touche pas de bois, car ici, il n’y a que du caillou. La descente est aussi aisée que la montée, mais forcément, plus rapide. Le glacier est génial à la descente, la neige à la consistance idéale pour glisser. Chaque pas est une glissade de 1 ou 2 mètres. Parfois, on tombe, et on rigole. Parfois, l’autre tombe, mais comme on est encordé, entraîne le deuxième dans sa chute. Et encore plus drôle, parfois, je tombe, et comme je suis devant, c’est Miche qui me fonce dessus sans pouvoir s’arrêter. Malheureusement, le glacier ne descend pas jusqu’au refuge. Alors on ramasse la corde et on termine sur le rocher. À 10h30, un roulement de tambour. Ce sera le seul, finalement. À 10h45, nous sommes au refuge, nos Gore-Tex trempées quand-même, car la pluie a commencé à tomber il y a 15 minutes. Peu importe, c’est imperméable, ça sèche vite. Pas mécontents d’être de retour en ayant fait mieux que le topo. Une heure de repos, devant un litre de Schörle.

Mais nous ne devons pas nous endormir sur nos lauriers, la fatigue se fait bien sentir mais, même si on irait bien faire une petite sieste, il faut monter d’abord, et dormir ensuite. D’autant que le temps reste incertain. Alors, nous nous réhabillons. J’ai froid maintenant, de m’être arrêtée. Mais si tôt en mouvement, j’ai de nouveau chaud. Nous montons tranquillement, avec nos voiles cette fois. J’avais mal lu la carte, le refuge HohSaas se trouve à 3101 m d’altitude, ce qui nous fait presque 400 m à monter, au lieu des 300 escomptés. Qu’à cela ne tienne, de toute façon, nous avons déjà fait plus de la moitié, donc le moral n’est pas impacté. Quand nous arrivons à ce que nous pensons être le refuge, un petit écriteau indique que le nouveau refuge est 100 m plus haut… Alors on continue, et on s’arrête quelques minutes sur un banc au niveau de l’arrivée du téléphérique, avant les 50 derniers mètres. En repartant, j’ai quand-même un doute : le refuge ne serait-il pas ce bâtiment à notre niveau, d’allure moderne, et sur lequel est écrit restaurant ? Je vais vérifier et je fais bien ! C’était bien ça.

Il s’agit plus d’un restaurant qui fait aussi refuge, qu’un vrai refuge, du point de vue de l’ambiance. Rien à voir avec la Weissmies Hütte. Mais bon, après avoir manger un peu, au dodo ! À 14h20, je m’endors en ayant froid, mais j’arrive à me réchauffer. Je me réveille de temps en temps quand de nouveaux alpinistes arrivent dans la chambre, mais me rendors aussitôt. C’est dire si je suis fatiguée ! Une des employées arrive à un moment pour montrer la chambre à de nouveaux venus, et tout en parlant fort, ouvre le rideau et la fenêtre. Mais quel culot ! Jamais on ne fait ça dans un refuge… Elle repart vite, la fenêtre, et son rideau sont aussitôt replacés, les nouveaux arrivés ne font pas de bruit, je me rendors. Vers 17h30, je ne dors plus, un peu reposée mais bien dans le coltar, je me lève pour le repas de 18h30.

Le lendemain, ce sera réveil une heure plus tard, soit à 3h45, pour un départ prévu à 4h30.

 

3 août 2019

La fatigue encore présente et la quantité de matériel aidant, il nous faut toujours une dizaine de minutes de plus pour être prêts. Ce n’est pas un soucis. À 4h45, nous commençons à arpenter la petite arête qui surplombe le refuge, parsemée de très grands cairns. La première partie constitue une rando d’une quinzaine de minutes pour les gens qui montent en téléph, d’où cette signalisation exubérante. Rapidement, les cairns se font plus discrets, et le faisceau de la frontale ne tombe pas immédiatement sur le suivant. Plus loin, la progression devient plus délicate, il ne faut vraiment pas faire un faux pas. On s’encorde, de toute façon, le glacier n’est pas très loin. En effet, il est juste derrière. Cette fois, on cramponne, la glace est dure, et le glacier plus pentu qui celui de la veille. Il fait plus froid aussi, le vent est assez fort. Je replace mes anneaux de buste, et mène la marche. La trace est faite, il n’y a qu’à suivre. Juste sous le col, une petite rimaye sans difficulté, qu’il suffit d’enjamber. Enfin, une dizaine de mètres sur un tas de rochers instables mais encore tenus par le gel. Il est 6h15, exactement les 90 minutes prévues par la topo pour rallier le col.

Maintenant que nous sommes sur l’arête, le vent bât son plein. J’ai déjà quelques doutes quant à notre vitesse de progression sur cette arête très effilée. Je n’ai jamais fait de 4 en grosses, mais j’entrevois que cela peut s’avérer compliqué suivant l’exposition surtout. Mais je continue, pour l’instant, rien n’impose de faire demi-tour. J’ai en tête le vent fort et rafaleux qui nous empêchera sûrement de décoller (19 – 30 km/h au mieux), ce qui impose une descente par la voie normale et exposée aux séracs…

Miche s’engage sur l’arête, je le vois hésiter à placer une protection, finalement il continue. Je me place au mieux, faisant passer la corde autour d’un becquet, mais je ne peux pas m’empêcher de penser « que se passerait-il s’il tombait maintenant ? ». Non que ce soit dur, mais c’est extrêmement impressionnant. En-dessous, c’est le vide, et aucun spit ne sera présent sur les 500 m d’arête. Nos protections, nous devrons les placer, coinceurs, sangles, avec la marge d’incertitude que cela comporte. La corde se tend, je ne vois plus Miche, qui est passé de l’autre côté du premier rocher. J’y vais. Est-il en train de continuer ? Sommes-nous en corde tendue ? Ce qui fait que si je m’arrête, je le bloque, mais si j’avance trop vite, je ne suis plus assurée au plus proche ? Ou bien m’assure-t-il à l’épaule ? Au demi-cab ? Sur un becquet douteux ? Ou sur un bon point ? Tandis que ces questions m’assaillent, je me concentre pour avancer. C’est un peu dalleux. En chaussons et avec des spits, ce serait de la rigolade, mais là, je ne suis pas vraiment à l’aise. Je progresse lentement et j’en ai conscience. J’arrive en haut du rocher, je dois redescendre de l’autre côté. Je suis donc au-dessus du point suivant, du seul point d’ailleurs. Je vois Miche. Mais je n’ai pas de pied évident, et les mains sont basses. J’ai du mal à passer ce pas. Je finis par y arriver. Je récupère la seule dégaine placée, et la cordelette sur laquelle elle était posée me vient dans les mains sans aucun effort… Je rejoins Miche qui m’assurait au demi-cab, sur un becquet où la sangle avait tendance à sauter. Il est congelé. Il me devance pour me dire qu’il est plus raisonnable de faire demi-tour, c’est ce que j’allais lui dire. Passer les quelques mètres que je viens de parcourir en sens inverse ne m’enchante guère, mais me retrouver bloquée au milieu de l’arête est incommensurablement pire. Il nous faudrait un temps énorme, il fait froid, et l’inconnu de la suite me stresse trop pour continuer. Je fais demi-tour. La descente n’est pas facile, je me replace, comme à la montée, à cheval, une jambe sur la face est, l’autre sur la face ouest. Puis je parviens au col. Rassurée, pas tant, je ne le serai que quand Miche sera redescendu aussi. Lui, ne sera plus assuré. Je me place entièrement de l’autre côté du gros rocher. Il a beaucoup plus d’expérience que moi, mais malgré tout, il n’est pas serein sur la descente. Ce qui se comprend ! Du fait d’un quiproquo, je n’ai placé aucune protection. Alors il s’assure avec la corde, derrière un becquet, il n’y aura qu’à la faire sauter une fois en bas. Sauf que bien sûr, impossible de la décrocher maintenant… Comme une autre cordée se prépare, on attend qu’ils passent pour la faire sauter.
Puis on descend. Passage de la rimaye et descente, sans crampons, droit vers la Weissmies cette fois. Il est déjà 8h, la voie normale serait envisageable, mais le niveau mental est entamé, et nous préférons descendre tranquillement, peut-être trouver un décollage, notamment à la Weissmies Hütte. D’autant qu’emprunter une voie exposée aux séracs, à la montée, n’est pas une grande idée. Même si de nombreuses cordées choisissent cette option.
Malgré ce demi-tour, je ne considère pas cette sorite comme un échec. D’une part, l’approche était intéressante, d’autre part, j’ai pu voir ma limite actuelle et prendre la bonne décision. Avant de m’engager dans une grande et longue course (au moins 500 m d’arête), exposée et engagée (plusieurs centaines de mètres de vide de chaque côté du fil), avec du vent froid, et la voile dans le sac, sur un itinéraire de haute montagne et côtée AD+, je vais m’entraîner sur du PD+ / AD-, sur une course moins longue et moins engagée, et plus bas en altitude. Cette course n’aurait pas posé de problème si l’exposition n’avait pas été si importante, je pense. L’arête sud du Lagginhorn n’aurait pas posé de problème, j’en suis quasiment sûre.

Nous redescendons donc, avec le sourire malgré tout. Arrivons à la Weissmies Hütte, accueillis par le joueur de cor des Alpes toujours sympathique. Il est 10h30, nous nous asseyons en terrasse avec un café, à espier le drapeau, et ma petite flamèche posée au sol. Le vent est encore arrière, parfois travers, mais, pensons-nous, il faut que la brise se mette en place. 1,5 café plus tard, le vent est toujours soutenu, mais toujours pas dans le bon sens. Il y a eu un créneau de 10 minutes de face, j’ai bien cru que c’était bon, mais il a tourné à nouveau. À rien y comprendre vu la topographie du lieu. Le vent météo est nord-est, et les nuages de vallée nous le confirment. Nous attendons encore et nous fixons une limite à midi. Mais dès 11h30, je sais que ce ne sera pas bon. Si les créneaux sont aussi courts et la direction du vent si changeante, c’est que l’aérologie n’est pas bonne en l’air. Nous ne sommes pas dans un thermique, la plupart du temps, le drapeau pointe vers la vallée, ou sur un côté. Le déco improvisé est encastré entre, à droite, le refuge, devant, une zone humide, à gauche, une moraine. Il faut aller tout droit, prendre suffisamment de hauteur par rapport au téléphérique puis basculer sur la gauche. Enfin, c’est ce qu’il aurait fallu faire. Nous paquettons tout, et prenons l’itinéraire de gauche, pour changer de celui de la montée. Tout au fil de la descente, le vent nous fera nous féliciter de ne pas avoir décoller. C’est seulement en vallée qu’on trouve des conditions d’atterrissages assez bonnes.

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