16 & 17 juin 2018

Nous arrivons sur la crête qui nous mène vers le premier refuge, de Plan Glacier. C’est encore de la rando malgré les névés qui apparaissent. Depuis la vallée, aucune difficulté technique, mais il fait très chaud, et les 15 kg des sacs se font sentir. Nous passons juste devant ce petit refuge adossé à la montagne, qui fait face au glacier. Jusqu’ici je connais. Après, non. Sauf ce que j’ai appris grâce aux topos. La neige est ramollie, on est parti trop tard (un seul chef de course pour la prochaine fois, avec des horaires stricts). Je pense qu’il est imprudent de continuer sachant que les difficultés techniques et les risques objectifs sont à venir. Nous poursuivons quand-même sur la traversée du glacier, ça ne coûte rien. Finalement, un peu plus loin, nous décidons de dormir à Plan Glacier et de partir plus tôt demain matin pour gravir cette face. Je propose de continuer le repérage, c’est-à-dire cette traversée jusqu’à avoir une vue complète sur la face en question. Ce sera peut-être utile pour demain quand il fera nuit, et ça me permettra d’estimer la durée nécessaire ainsi que de mémoriser vaguement le cheminement. Sur l’éperon rocheux, on a une vue globale. Sans doute 3h à partir d’ici jusqu’au plateau où se trouve le refuge Durier. Ensuite on verra.
Du coup, on rebrousse chemin vers Plan Glacier, de mémoire un refuge d’une dizaine de place, non gardé.
Quelle bonne surprise quand le gardien nous y accueille ! Et oui, non gardé, sauf en été ! Nous sommes seuls. Il est 16h. Après avoir discuté un peu avec le gardien, une petite sieste d’une heure, ensuite il nous sert le repas à 18h et à 19h dodo ! Malgré la soupe et l’eau, j’ai encore soif, mais je ne veux pas entamer l’eau de demain. Bon, ça ira.
C’est un vrai refuge, dans lequel il ne fait pas chaud, mais une fois sous la couette, ça va très bien. Je m’endors vite. Le réveil est réglé à minuit et demie.
J’adore les départs de nuit. Quand le réveil sonne, je me sens bien. On s’accorde 10 minutes, je sais qu’on a de la marge. Petit déj, le gardien nous a fait une tonne de café, de l’eau !! Super !
Je rassemble le matériel, nous nous mettons en route à la lueur de nos frontales. Il ne fait pas froid, c’est bien, mais il n’y a pas eu de regel… c’est triste. Avec une iso0 à 3900 m, il fallait s’y attendre. La neige est quand-même plus dure qu’hier, mais avec nos traces de la veille, les crampons ne sont pas nécessaires pour l’instant. La traversée repérée la veille ne pose pas de problème, quelques pas de désescalade avant de prendre pieds sur le glacier proprement dit. Nous nous encordons : je peux enfin me délester de la corde. Les séracs nous surplombent à gauche, mais ils sont relativement éloignés et n’ont pas l’air bien méchants. Traversée d’une ancienne coulée, et arrivée sur l’arête. Le rocher est parfois bon, parfois délité, ce qui constitue les parties les plus délicates, sans être très difficiles. Le chemin n’est plus tout tracé, il faut choisir son itinéraire, moins facile de nuit. De temps en temps, nous repassons sur la neige. Cette ascension me paraît plus longue qu’escompté, mais le jour ne vient toujours pas. J’aperçois de temps en temps trois frontales au loin, d’autres alpinistes. Je me demande s’ils nous voient aussi, et si comme moi, le fait de voir d’autres personnes, si loin dans cette immensité, mais si précisément et en ayant les mêmes intérêts leur procure la même sensation étrange, à la fois de vulnérabilité, mais aussi de vie. Je continue ma progression tout en pensant, mais bientôt la paroi s’incline, les prises deviennent moins évidentes. Toute mon attention est canalisée à nouveau. Je regrette que la nuit dérobe à mes yeux la ligne de crête. Où sommes-nous maintenant ? Combien nous reste-t-il de dénivelé dans cette ascension où les mètres verticaux ne veulent rien dire. Je suis tranquille, notre timing est parfait, la météo également. Mais incessante préoccupation de savoir à quelle distance est l’objectif, surtout quand on estime qu’il n’est plus très loin…
Et finalement, il est encore à quelques temps. Tout en haut, j’aperçois une frontale, seule, plus jaune que celles de ce matin (enfin de cette nuit). Je continue de monter. Je regarde encore cette frontale. Mais que je suis bête, je me suis fait avoir comme une débutante… C’est Vénus ! Qui se lève au-dessus des Dômes de Miage. Je ris toute seule de m’être trompée. Le jour se lève, et la crête arrive. La sortie de cette face, juste à gauche d’une grosse corniche, est magnifique. Sur les dernières dizaines de mètres, la paroi est très inclinée, et en neige. De sorte que, sortir sur le plateau horizontal où est posé le refuge, donne l’impression de sortir de l’eau dans une piscine sans l’échelle. C’est l’impression que j’ai eu, ça m’a frappé, ce contraste d’horizontalité rend la pseudo-verticalité d’où l’on sort plus impressionnante encore… Surtout quand on regarde en arrière. Mais à ce moment, je ne sais pas encore que c’est notre itinéraire de descente…
Sans pause nous continuons et décidons de mettre les crampons, la neige gelée est glissante et le sol horizontal ne dure pas. Le temps de s’équiper, un énorme nuage arrive du bas et nous enveloppe, le vent forcit. Il fait froid. Le temps ne va pas se dégrader, mais sur une arête il est possible que les conditions restent ainsi par une journée de grand bleu. Nous hésitons un moment et décidons de faire une pause dans le refuge Durier que nous venons de passer. Nous restons dans la toute petite entrée car nous voyons que deux alpinistes sont encore en train de dormir… Bizarre, ils doivent avoir changé leurs plans. Lorsque nous réouvrons la porte, surprise : grand beau. Nous décidons donc de poursuivre… Mais aussitôt, nuages et vent nous englobent à nouveau…
Nous avons fait une belle montée, la suite est incertaine, les autres frontales vues plus tôt sont restées au moins une heure au même endroit, ce qui ne nous met pas en confiance pour la suite.
Nous aurions largement le temps, mais c’est plutôt la météo (le vent, le froid et le manque de visibilité qui nous questionne). J’ai tout sur moi, et même si je n’ai pas froid pour l’instant, j’ai l’impression de ne pas avoir grand chose. Bon, il faut prendre une décision, nous redescendons par le même itinéraire (sauf un peu plus bas ou nous ferons une boucle). Cette option ne me déplaît pas car je vais devoir me confronter à la descente, cette même pente d’où nous sortions il y a peu, et à propos de laquelle je me disais, il vaut mieux la monter que la descendre…
Premiers pas, se remettre dans la pente, dos au vide. Ça va bien. Et ensuite désescalade, parfois face vide, parfois face paroi. Beaucoup moins fluide qu’à la montée. Nous obliquons à gauche pour aller chercher une pente de glace, que j’estime à 55-60°. Les crampons et le piolet sont indispensables. Heureusement la glace est excellente, de type sorbet. Malgré cela, y aller face vide n’est pas évident avec cette inclinaison. Je suis un peu trop tendue, les muscles des jambes vont me le rappeler demain… Pour me reposer psychologiquement et physiquement, je repasser face paroi. Il faudra que je m’entraine sur des plus petites courses pour le cramponnage face vide. Planté de piolet, pied, pied, glisser la main jusqu’en bas du piolet, pied, pied, recommencer. Ces 100 mètres sont les plus éprouvants pour moi. Je respire fort pour arriver le plus vite sur le rocher. J’avais confiance dans mes appuis, mais au bout d’un moment, les muscles commencent à tétaniser, surtout parce que j’étais trop tendue… Mais il me faut plus d’expérience. 5 minutes de pause sur… le plancher des vaches, oui enfin… sur un tas de cailloux où je peux m’asseoir. Avant de repartir dans la pente qui a le bon goût d’être un peu moins inclinée. Elle doit être à 40° maintenant, plus aucun problème pour marcher face au vide.
Un petit coucou au gardien de Plan Glacier. Les nuages ont joués à cache-cache toute la journée avec les sommets intermédiaires. Sous Plan Glacier, la traversée vers le Col du tricot n’est pas de tout repos. C’est de la randonnée alpine, avec une vingtaine de névés à traverser, et une petite glissade pour moi, en T-shirt… mmmh, les avant-bras tout râpés. Enfin au col : le vrai plancher des vaches, ou plutôt, des chèvres. Lorsque nous arrivons dans vallée, cela fait 13h que nous sommes partis.

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